Je vous ai déjà parlé de Fille Probophobique. C'est sa mère qui ne veut pas qu'on écoute Schubert en classe.... Quoi? C'est pourtant évident. Common knowledge. L'écoute commentée de certains lieder de Schubert pourrait cultiver vos enfants... heu... je veux dire... les horreurs racontées par Goethe et mises en musique par Schubert peuvent faire peur à vos petits chéris. Ne prenez pas de risque. Le pal pour Schubert et le bûcher pour Goethe. De toute façon, la culture, ce n'est pas très réforme. On préfère des gens compétents... N'importe quoi!
Fille Probophobique est un symptôme sur deux pattes. Non seulement est-elle hypocondriaque, mais elle porte aussi le poids d'une famille dysfonctionnelle sur ses frêles épaules d'obèse. Paradoxal? Pas du tout. On peut être à la fois obèse et frêle. Mais ne lui dites pas, vous pourriez la convaincre.
D'après sa mère, Fille Probophobique évolue dans un environnement sportif. Ses deux grands frères jouent au football (américain) et ses deux parents sont de fiers bénévoles. Donc, le week-end, pour toute la famille, it's football time! Vous vous demandez sûrement comment une athlète qui regarde ses frangins pratiquer un sport si noble peut-elle être obèse... Les glandes! Ben oui... les glandes. Elle glande tout le week-end, donc elle est obèse. Miam miam... C'est bon des hot-dogs après le football. Dommage que ses glandes ne peuvent pas les métaboliser. Problème simple : ses glandes glandent.
Fille Probophobique est aussi asthmatique. Elle a une pompe. On ne sait pas si elle en a besoin à l'effort.... (Voir le paragraphe précédent). Parfois, Fille Probophobique panique. Elle s'imagine avoir besoin de sa pompe, mais elle ne la trouve pas. Plus elle y pense, plus elle manque d'air... Mais heureusement, elle a sa fidèle pompe. Ouf! Elle a frôlé la mort... une fois de plus, la pauvre. Fille Probophobique a surtout besoin de sa pompe à la maison, où les deux parents fument. Par chance, elle évolue dans un environnement sportif.
Fille Probophobique aime Jésus. Ben quoi? Imaginez ce qui pourrait lui arriver si elle ne l'aimait pas... Elle aime aussi Marie et devinez quoi... Oui! Elle va incarner le rôle de la Sainte Vierge dans un théâtre musical à l'église. N'est-ce pas merveilleux? On est vraiment content pour elle hein? Ce n'est pas tout : elle devra chanter... héhéhé! Lorsqu'elle me l'a annoncé, je l'ai félicité. Elle n'avait pas l'air très heureuse. Et si elle manquait une note? Que de pression pour une enfant de cinquième année. Pendant ses temps libres, alors que les autres filles de son âge s'autoswignent-la-baquaise au son de Rihanna, Fille Probophobique pratique (je devrais dire angoisse devant sa partition) sa chanson pour Pâques. C'était en octobre...
En passant, la toune est vraiment kétaine... J'ai changé quelques accords sur sa partition, mais même dans ce genre de musique, on ne peut pas faire de miracle.
Fille Probophobique est sensible. Je la laisse aller aux toilettes tant qu'elle veut. Je peux alors raconter aux autres élèves des futilités, comme par exemple, le sort réservé jadis aux garçons qui avaient de jolies voix. Au dernier cours, je leur ai fait entendre le même extrait de Vivaldi qu'à vous: James Bowman, le haute-contre. J'ai alors expliqué aux enfants que ce n'était pas un castrat. Zut! J'avais oublié qu'elle était là... " Un quoi?" qu'elle me demande. C'est Wannabe, un élève que j'aime bien qui lui a expliqué. Vous auriez dû voir sa gueule... héhéhé. Et en plus, moi je n'ai rien dit. Mon petit côté Ponce Pilate. C'était excellent.
Parfois, Fille Probophobique trouve que je dis des choses qui n'ont "pas rapport" avec le cours de musique. C'est sa mère qui m'en parle. Cette dernière est toujours à l'école et elle m'énerve.
Mère Velcro : Ma fille m'a dit que tu dis des choses "pas rapport" en classe.
Moi : Comme quoi?
Mère Velcro : Je ne sais pas.
Moi : Elle vous l'a dit à vous?
Mère Velcro : Oui.
Moi : C'était quoi?
Mère Velcro : Je ne me souviens plus vraiment, mais ça n'avait pas rapport.
Moi : Et Fille Probophobique pourrait m'en parler?
Mère Velcro : Elle dit qu'elle veut te parler, mais que tu n'as pas le temps,
Moi : C'est vrai, mais je vais le prendre le temps. Par contre, je doute qu'elle va me dire quoi que ce soit. Votre fille est refermée sur elle-même.
Mère Velcro : Tu ne la connais pas. Elle est pas barrée pantoute.
Le lendemain
Moi : Bonjour. J'ai parlé à votre fille, elle m'a dit de laisser faire. J'ai pris ma seule pose de la journée pour la rencontrer et j'ai perdu mon temps...
Mère Velcro : Elle devait avoir peur que tu la punisses.
Moi : Et vous, croyez-vous que je l'aurais puni?
Mère Velcro : Ben non, voyons.
Moi : Alors, il est clair que votre fille a un problème. Elle pourrait rencontrer N******* (la psychoéducatrice de l'école).
Mère Velcro : N*******? Mais pourquoi?
Moi : Parce que selon vous et votre fille, c'est moi qui ai un problème en classe. Vous ne pouvez pas me dire en quoi il consiste et votre fille non plus. Comme JE veux régler MON problème, je voudrais que votre fille rencontre la PSYCHOÉDUCATRICE.
Mère Velcro : Non!
Et elle se pousse...
On ne peut pas aider Fille Probophobique. Elle n'a pas de problème. Elle porte les symptômes.
...
9 commentaires:
On lah lah. D'une justesse.
Pourquoi est-ce que, maintenat, la lourdeur du monde doit reposer sur des gens de plus en plus jeunes...?
C'est une histoire épouvantable. Que de torts cette famille fait à cette enfant juste en ne voulant pas voir...
C'est horrible. Un film de peur. Pauvre enfant, c'est pus une enfance, c'est un destin maudit d'avance.
Pauvre prof aussi. Je sais pas comment tu fais pour trouver la patience qu'il faut. Comment tu fais?
Je te paye un McCallan.
Chroniques Blondes : Qui a dit que j'étais patient? Elle m'énerve royalement la petite... Non, non... je suis TRÈS patient!
(N'importe quoi pour trinquer avec la blonde...)
J'ai lu ton blog et je me suis dit que j'enseignais sur une autre planète...
Je m'explique. J'enseigne sur une réserve autochtone dans le nord du Québec et ici les élèves n'ont jamais de problèmes de surprotection. Il sont abandonnés dans les rues pendant que leurs parents font la fête ou se droguent. Ce qu'on rammasse en miettes, nous, ce sont les restants de cet abandon. Cette violence accumulée, ce trop plein qu'ils décharchent sur nous ou sur les autres élèves.
Chaque jour on chiale sur les derniers ravages d'une telle ou sur le dernier affront d'un autre. C'est sûr qu'il faut se dire que le milieu fait tout ça et patati et patata, mais on subit quand même chaque jour et on reste humain.
Bref, je vis sur une autre planète enseignante... ;)
Nordik : Pas tant que ça... Fille Probophobique n'est pas à l'image des autres enfants de mon école. Y a pas mal de mères d'élèves qui se prostituent pendant que les enfants sont à l'école. D'autres vont même jusqu'à recevoir des clients pendant que les enfants sont là (plus rare).
Les jeunes traînent dans la rue le soir et se font recruter par des gangs de rue.
Par contre, j'admets que le problème est encore plus grand dans les réserves. Je pense que c'est moins homogène dans mon coin...
L'origine du problème est très différente, mais le problème est semblable. Ce qui me vient tout de suite à l'esprit, c'est le manque de modèle positif.Il faudrait former des profs, des infirmiers, des médecins, etc. de la place. Au moins, quelque-uns... Mais ça semble tellement rare. Je me trompe?
Tu es là-bas pour de bon où c'est temporaire?
N'est-on pas obèse parce qu'on est frêle? On a besoin d'un super vêtement pour se protéger, s'isoler du reste du monde.
Y a-t-il un/e infirmier/ère à ton école? A-t-elle un/e titulaire que tu pourrais « allumer » et qui pourrait lui faire rencontrer le personnel de santé physique pour ses problèmes d'« asthme » (peur de manquer d'air; elle se sent étouffer par son entourage et par le vêtement que celui-ci la force à porter pour survivre), qui pourrait, à son tour, l'acheminer à la psychopédagogue?
Zed : C'est très difficile quand les parents refusent. De plus, nous avons des cas pas mal plus lourds (sans mauvais jeux de mots). Des enfants battus, sous-alimentés, abusés, drogués...
Au moins, son obésité n'est pas morbide et elle est assez intelligente pour se réveiller dans quelques années et prendre le contrôle de sa vie : entrez chez les soeurs!
Elle m'énerve... tellement... grrrrr...On ne peut pas tous les aimer.
Je ne sais pas comment vous faites, pour ma part je suis infirmière et je n'ai jamais voulu travailler en pédiatrie parce que je ne suis capable d'aucune empathie. Au moment où ça touche les enfants, je deviens sympathique à leur cause et le seul fait d'avoir eu à faire des stages dans ce domaine m'a arraché le coeur. Une chance que certains sont plus braves et arrivent à garder l'oeil sur nos générations futurs.
Enregistrer un commentaire