22 septembre 2006

On tire des leçons de l'enseignement

J'étais un salaud avant d'être prof. J'aurais stérilisé tous ceux que je trouvais cons... ça représente pas mal de monde. Je pense que je m'incluais dans le tas. J'en ai fait pleurer des gens... Plus ils étaient sensibles, plus je les trouvais cons. Une seule exception à la règle: les larmes versées devant la grandeur du génie humain. Par exemple, La Passion selon Saint-Matthieu de Bach. C'est les gens qui n'étaient pas émus qui devenaient les cons. Au fond, l'important, c'était qu'il y ait des cons pour que je puisse me rassurer dans un semblant de supériorité intellectuelle.

Madame Malgré Tout et mes amis proches vous diraient que je n'ai pas vraiment changé, mais ne les écoutez pas. Je me charge de les castrer moi-même...

Ce fût une semaine stressante au boulot. La tâche trop pleine qu'on devra signer parce qu'on a pas le choix, les profs qui vont changer d'école, les profs qui ne savent pas s'ils devront changer d'école, le nouvel emploi de Madame Malgré Tout, le moment le plus déterminant du projet sur lequel je bosse, les gens qui débarquent du projet, les gens qui rembarquent dans le projet, les gens qui ne savent pas s'ils font le projet... En résumé, tout le monde capote. Et ça, c'est seulement le travail...

Moi, le con dans tout ça, je dis à une très bonne enseignante qui nous quitte, car elle vient d'avoir sa permanence :

Moi: "C'est vraiment mal foutu la commission scolaire. Pas très respectueux des enfants. Il me semble que tu pourrais commencer seulement l'an prochain sur ta permanence. Mais bon, tu n'as pas le choix... Ce n'est pas ta faute. C'est cette bande de cons..." (Un truc du genre.)

Elle: "..." (Elle se pousse... je l'entends sangloter)

Moi il y'a dix ans : "Non mais quelle conne! Vraiment hypersensible. Je ne suis pas sûr qu'elle devrait enseigner. Vous entendez la Passion selon Saint-Matthieu quelque part vous? Quoi? On diffuse Cinéma Paradisio sans me le dire? J'ai dit quelque chose de blessant...? Une petite dose de lithium peut-être...?"

Pourquoi pleure-t-elle? Parce qu'elle l'a le choix. Oui. Elle aurait pu refuser sa permanence, car elle ne remplaçait pas un remplacement. Elle remplaçait directement un congé de maternité. Elle aurait pu rester là pour ses élèves...

Il y a des profs qui enseignent depuis au moins huit ans et qui n'ont pas de permanence (moi par exemple). Mais est-ce qu'on peut demander ça à quelqu'un? Je n'ai pas donné le coup de couteau, je l'ai tourné dans la plaie. Ça lui fait drôlement mal de laisser les enfants. Pas pour elle... pour les enfants. C'est important la constance en maternelle... la stabilité.

Il y a dix ans. Quand je jouais pas mal bien parce que je pratiquais. Quand je pouvais citer Baudelaire. Quand je lisais encore des classiques. Quand je draguais les femmes plus vieilles parce que je jouais à Julien Sorel. Quand je voulais castrer mon prochain et pensais que c'était légitime. Quand je n'avais jamais enseigné à une bande d'enfants en milieu défavorisé qui ne dorment pas la nuit, qui parfois ont l'air de junky, qui sont pauvres, sales et sous-stimulés, qui se font bouffer le coeur par un tigre... À cette époque, je l'aurais trouvé conne.

Enseignement, merci.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je comprends tellement ce que vous vivez.

je suis enceinte et, malgré cela j'ai accepté un contrat (faut que les comptes se paient) Et déjà, j'ai de la peine à penser qu'au retour des fêtes un autre que moi enseignera à ces enfants-là. Des ados d'un milieu... peu favorisé disons.

Pour avoir leur participation et leur attention je dois les gagner un par un. Mais je vais les quitter d'ici quelques mois.

Dobby a dit…

;)

Allez Prof Malgré tout... il y a de ces choses qu'on exprime juste mal... Aurait fallu foutre le mot triangulation ou les mots "affichage complété dès le mois d'août pour empêcher les jeux de chaises émotifs", car c'est à ça que vous pensiez, j'en suis sûre.

L'affichage a été émotif, je peux vous l'affirmer... Déchirant même pour plusieurs, pleurant soit de devoir quitter leur gang ou de laisser aller peut-être la chance de leur vie. Je suis sortie soulagée de ce repère du diable tentateur, soulagée que rien d'assez tentant soit resté pour me donner le dilemme maudit: une permanence, ou mes petits... Moi ou eux... prendre une chance ou non. C'est l'enfer à la grandeur de la commission scolaire.

Et vous le savez fort bien que c'est ainsi. Alors non, z'êtes pu trop salaud. Je dis bien pu trop. Quand même, je vous en laisse un ptit peu de salauderie, vous en avez besoin pour le salut de votre âme et de votre personalité colorée... et afin de comprendre et détecter les plus salauds encore.

Une Peste! a dit…

Ils nous l'envoit dans les dents, n'est-ce pas, nos p'tits monstres? Ils viennent chercher ce qu'il a de plus humain en nous.

Perso, lorsque je figure qu'à Noel, ils sauront lire pour la plupart. Que cela sera un peu grâce à moi, bin ... je braille comme un veau.

Pourtant je suis vraiment une peste dans "la vraie vie". Toujours à t'chicaner sur ceci et cela. Mais mes petits-à-moi, je n'en échangerais aucun - pas même Gabriel qui babounne tout le temps - contre une boîte de Tide.

Ni même contre deux boîtes.

Fairy-bonbon a dit…

"C'est drôle les cons, ça repose, c'est comme le feuillage au milieu des roses...." C'est une phrase que j'aime bien....

Anonyme a dit…

Sauf qu'ici je crois que Reggiani s'est planté...ils ne reposent personne ses cons là...

Toute ma compassion aux profs concernés et à leurs cocos...