Appelons-le Mustafah pour des raisons d'anonymat. Il est en première. Grand pour son âge, ses yeux brillent de fierté lorsqu'il nous parle de sa petite soeur. Son petit frère porte un nom qui en dit long sur la ferveur religieuse de ses parents. Maman est couverte d'un voile islamique. Pas la chevelure de maman... toute maman sauf ses mains et son visage.
Mustafah ne fonctionne pas en classe cette année, dans aucune matière et avec aucun spécialiste. Après deux cours où j'ai épuisé mon arsenal de gestion de classe et de renforcement positif et tout le tralala, toujours rien à faire...
J'enseigne à 300 élèves parmis lesquels certains sont dans des classes spécialisées pour troubles de comportement et seulement un me dépasse cette année: Mustafah.
Je le garde devant sa classe après le cours de musique.
Moi : "Qu'est-ce qui t'es arrivé Mustafah?"
Lui : "Quoi?"
Moi : "Tu te souviens en maternelle. Tu étais un bon élève en musique."
Lui : "..." (Il baisse les yeux)
Moi : "Est-ce que tu te considères un bon élève cette année?"
Lui : "..." ( Il met ses mains sur sa bouche)
Moi : "Mets tes mains le long de ton corps et regarde-moi. Est-ce que tu es bon en musique?"
Lui : "Je sais pas..."
Moi : "Et bien moi je sais. Tu es très bon en musique et tu es très intelligent."
Lui : "..."
Moi : "Est-ce que tu trouves que tu vas bien en musique cette année?"
Lui : "Non..."
Moi : "Qu'est-ce qui ne va pas?"
Lui : "Je fais des choses méchantes. Je fais mal."
Moi : "Mais l'an dernier, tu ne faisais pas des choses comme ça.... qu'est-ce qui s'est passé?"
Lui : "..."
Moi : "Tu es allé en voyage cet été?"
Lui : "Non..." (Il baisse les yeux et s'agite)
Moi : "Tu as pris l'avion?"
Lui : (son visage s'éclaire) "Oui!"
Moi : "Donc, tu es allé en voyage."
Lui : (il semble avoir peur) "...Non..."
Moi : "Mais tu as pris l'avion... Est-ce que tu as pris le bateau?"
Lui : "Non. Seulement l'avion."
Moi : "Et dans quel pays es-tu allé?"
Lui : "Montréal?"
Moi : "On ne prend pas l'avion pour aller à Montréal Mustafah."
Lui : "C'est loin..."
Moi : "Tu as dormi dans l'avion?"
Lui : "Je suis allé voir ma grand-mère."
Moi : "Bon d'accord... Papa habite avec toi à la maison?"
Lui : (il panique un peu... hésite... cherche...) "...Oui..."
Moi : "Et dis-moi... Qu'est-ce qui a changé avec le Mustafah de l'an dernier?"
Lui : "Mustafah fait des choses méchantes maintenant."
Moi : "Est-ce que tu sais pourquoi?"
Lui : "Oui. Un animal est entré dedans moi."
Moi : "Quelle sorte d'animal?"
Lui : "Un tigre... Il est entré et il a mangé mon coeur!"
Moi : "Et il est encore là le tigre?"
Lui : "Oui. Il est toujours là... il a mangé mon coeur. C'est le tigre qui me rend méchant."
Moi : "Mais tu es beaucoup plus fort que le tigre. C'est toi le chef."
Lui : "Non... le tigre est le plus fort. J'ai peur de lui."
Moi : "Moi je pense que tu es plus fort que le tigre... tu es très fort."
Lui : "..." (Il regarde son biceps)
Moi : "Je voulais dire fort ici et là." (Je pointe sa tête et son coeur)
Lui : "..." (Regard incertain) "...Non..."
Moi : (Tâchant de sourire en prenant mon air le plus convainquant) "Oui..." (Main sur l'épaule, petit coup de coude...) "Allez. Faut retourner en classe."
Il doit partir... rejoindre sa classe, faire son sac, rejoindre sa mère et retrouver... son père?
Ouf... je l'ai signalé à la psychoéducatrice de l'école et à toutes les personnes concernées. Oui... son prof titulaire s'inquiète.
Je ne blâme personne... sauf le tigre.
Mustafah ne fonctionne pas en classe cette année, dans aucune matière et avec aucun spécialiste. Après deux cours où j'ai épuisé mon arsenal de gestion de classe et de renforcement positif et tout le tralala, toujours rien à faire...
J'enseigne à 300 élèves parmis lesquels certains sont dans des classes spécialisées pour troubles de comportement et seulement un me dépasse cette année: Mustafah.
Je le garde devant sa classe après le cours de musique.
Moi : "Qu'est-ce qui t'es arrivé Mustafah?"
Lui : "Quoi?"
Moi : "Tu te souviens en maternelle. Tu étais un bon élève en musique."
Lui : "..." (Il baisse les yeux)
Moi : "Est-ce que tu te considères un bon élève cette année?"
Lui : "..." ( Il met ses mains sur sa bouche)
Moi : "Mets tes mains le long de ton corps et regarde-moi. Est-ce que tu es bon en musique?"
Lui : "Je sais pas..."
Moi : "Et bien moi je sais. Tu es très bon en musique et tu es très intelligent."
Lui : "..."
Moi : "Est-ce que tu trouves que tu vas bien en musique cette année?"
Lui : "Non..."
Moi : "Qu'est-ce qui ne va pas?"
Lui : "Je fais des choses méchantes. Je fais mal."
Moi : "Mais l'an dernier, tu ne faisais pas des choses comme ça.... qu'est-ce qui s'est passé?"
Lui : "..."
Moi : "Tu es allé en voyage cet été?"
Lui : "Non..." (Il baisse les yeux et s'agite)
Moi : "Tu as pris l'avion?"
Lui : (son visage s'éclaire) "Oui!"
Moi : "Donc, tu es allé en voyage."
Lui : (il semble avoir peur) "...Non..."
Moi : "Mais tu as pris l'avion... Est-ce que tu as pris le bateau?"
Lui : "Non. Seulement l'avion."
Moi : "Et dans quel pays es-tu allé?"
Lui : "Montréal?"
Moi : "On ne prend pas l'avion pour aller à Montréal Mustafah."
Lui : "C'est loin..."
Moi : "Tu as dormi dans l'avion?"
Lui : "Je suis allé voir ma grand-mère."
Moi : "Bon d'accord... Papa habite avec toi à la maison?"
Lui : (il panique un peu... hésite... cherche...) "...Oui..."
Moi : "Et dis-moi... Qu'est-ce qui a changé avec le Mustafah de l'an dernier?"
Lui : "Mustafah fait des choses méchantes maintenant."
Moi : "Est-ce que tu sais pourquoi?"
Lui : "Oui. Un animal est entré dedans moi."
Moi : "Quelle sorte d'animal?"
Lui : "Un tigre... Il est entré et il a mangé mon coeur!"
Moi : "Et il est encore là le tigre?"
Lui : "Oui. Il est toujours là... il a mangé mon coeur. C'est le tigre qui me rend méchant."
Moi : "Mais tu es beaucoup plus fort que le tigre. C'est toi le chef."
Lui : "Non... le tigre est le plus fort. J'ai peur de lui."
Moi : "Moi je pense que tu es plus fort que le tigre... tu es très fort."
Lui : "..." (Il regarde son biceps)
Moi : "Je voulais dire fort ici et là." (Je pointe sa tête et son coeur)
Lui : "..." (Regard incertain) "...Non..."
Moi : (Tâchant de sourire en prenant mon air le plus convainquant) "Oui..." (Main sur l'épaule, petit coup de coude...) "Allez. Faut retourner en classe."
Il doit partir... rejoindre sa classe, faire son sac, rejoindre sa mère et retrouver... son père?
Ouf... je l'ai signalé à la psychoéducatrice de l'école et à toutes les personnes concernées. Oui... son prof titulaire s'inquiète.
Je ne blâme personne... sauf le tigre.
10 commentaires:
Tu l'as, l'tour.
Parlant de tour, j'ai fait celui de ton blogue. Longue vie! J'aime beaucoup les regards de l'intérieur comme le tien.
Wow. J'aimerais pouvoir parler à mes élèves avec autant de poésie.
C'est très touchant. Ton blogue, c'est de l'or en barre.
d'ailleur....
Ouais. Continue. Ça me fait penser à " ces enfants de ma vie" de Gabrielle Roy.
On est tous unpeu Mustafah, des fois...
Si je n'étais pas daltonien, je pourrais affirmer que vous me faites rougir....
J'aimerais avoir ta sensibilité et trouver les mots qu'il faut pour parler à mes enfants comme tu parles aux "tiens". Bravo, et ne lâche pas le tigre, elle n'est pas venue tout seul dans ton petit bonhomme, cette sale bête...
o_O
Ce genre de révélations de la part d'un jeune enfant, ça me scie les deux jambes!
Je suis également enseignante de musique dans une école défavorisée mais dans la région de l'Outaouais. Moi aussi je côtoie des enfants vivant des situations familiales difficiles. Je crois que la meilleure chose à faire pour les aider, c'est de les écouter avant tout. Ce sont des êtres fragiles qui veulent se faire aimer et se sentir compris.
Marisole
Je viens juste de découvrir ton blogue, et je l'ai lu en entier (pas capable de m'arrêter!!). Vraiment, tiens viens de trouver une lectrice quotidienne. J'ai moi-même fait des études en musique (ahah, je sais c'est quoi Erlkönig!), et je me souviens au primaire d'avoir toujours eu l'illusion de la perfection et de la sainteté de mes professeurs... ça fait drôle de voir de l'autre côté, et j'apprécie la façon que tu racontes... je sais pas, quoi... je suis touchée!...
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