20 juin 2007

Pauvreté 101

Comme vous la savez déjà, j’enseigne dans le quartier défavorisé. Par contre, il y a des jours où j’aurais envie de dire que j’enseigne dans le quartier des favorisés. Vous allez comprendre. Mais attention, je ne tombe pas dans le panneau (pas celui-là en tout cas...).

Mais qu’est-ce qu’il raconte encore le prof?

N’importe quoi... Comme d’habitude.


À mon école, sur près de 300 élèves, je dirais qu’au moins 275 dînent à l’école. Avec l’augmentation du coût de la vie, les parents travaillent de plus en plus et ne peuvent pas accueillir leur progéniture pour les repas du midi. Et croyez-moi, ils en payent le prix : 10$ par mois.

Hein? Pfffff... 10$ par mois. Oui oui... un gros dix piastres pour que votre marmaille puisse se repaître de plats qui, quoiqu’un peu fades, les maintiendront en vie assez longtemps pour que j’apprenne leurs noms complets par coeur.

10$, ça représente environ 75 cents le repas. Méchant bon deal. Même si chaque week-end, on roule en VUS jusqu’au chalet, on ne peut refuser une telle offre!

Par contre, cette semaine, c’est la panique totale: le service de repas n’est pas disponible. Les parents des élèves qui mangent à l’école doivent donc leur préparer un lunch. Ouch!

La maman: Hein? Un lunch?

La prof: Ben oui Madame.

La maman : Ben là... Comment ça qu’y a pas de dîner?

La prof : Je ne sais pas Madame. Ce n’est pas ma décision.

La maman : Ben là...

La prof : Donc, vous allez lui préparer un lunch?

La maman : On peut pas laisser d’l’argent?

La prof: ...

La maman : Ben sacrament! Y va manger à maison d’abord. À son enfant. Viens-t-en ciboire!

La prof : ...


J’exagère? HA-HA-HA...


Je ne vous parlerai pas des cas d’élèves qui ont été abandonnés à l’école sans boîte à lunch... Je vais plutôt faire dans la spéculation "pseudostatistique".

Sur nos 275 élèves qui mangent à l’école, environ 50 se sont pointés avec un lunch. Les autres ont mangé à la maison. J’en conclus qu’au moins 225 pourraient manger dans le calme de leur foyer, mais pour des raisons financières (ou par manque d’intérêt de leurs parents) ils se tapent le chaos de la cafétéria, suivi d’une cour de récréation tout aussi anarchique. Que voulez-vous? Il faut bien que les profs mangent, fassent des photocopies, assistent à une rencontre, préparent des cours ou se reposent un peu... Disons que les surveillants des dîners n’ont pas l’autorité que nous confère certains pouvoirs liés à la profession *** insérez un rire diabolique ici***.

En résumé, pour un élève, manger à l’école, c’est décoiffant. Mais... 10$ par mois, c’est un méchant bon deal!

En après-midi, les enfants qui ont mangé à la maison me semblent plus disponibles que la plupart des autres. C'est subjectif? Oui.

Je comprends que si les parents n’ont pas le choix, ce n’est pas si dramatique. Par contre, si ceux qui ont le choix décidaient de garder leurs affreux le midi, on diminuerait le nombre d’élèves à la cafétéria et par le fait même, on augmenterait la qualité de vie des enfants qui ont vraiment besoin des mesures d’aide alimentaire.



Comment les convaincre? 10$, c’est un super bon deal! Ouais... À bien y penser, j’vais en prendre une caisse...


C’est ça être pauvre...

Pauvre dans le quartier des favorisés.







...

7 commentaires:

¤Enidan¤ a dit…

Il y a des profiteurs partout...

Je connais des gens qui magasinent à la caisse... c'est à dire que peu importe s'ils ont besoin ou non de certaines choses, si c'est en spécial (vraiment en spécial), ils en prennent une caisse... peu importe que d'autres en aient VRAIMENT besoin... eux, ils profitent du spécial...

Un manteau de simili-cuir laid à 5$ ??... hey, m'as en prendre deux... !!!

Marie-Piou a dit…

Juste 2?
Moi, j'vas en prendre une caisse!

*soupirs et désolation* voici ce que je ressens quand je lis des histoires comme celles que vous nous avez relaté, prof malgré tout...

Anonyme a dit…

Si les parents mettaient les pieds à l'école le midi pour mesurer le nombre de décibels dans la salle où leurs affreux prennent leur repas, ils tomberaient dans les pommes ou en transe (même s'ils paient beaucoup plus que 10 $ par mois à leur service de garde).

Rendue en 6e année, ma fille m'a demandé de venir dîner à la maison. J'étais retournée aux études moi-même, j'étais plus disponible, je trouvais ma fille trop "vieille" pour les jeux gnagnas, bref j'ai accepté... et payé un supplément assez salé pour le transport. Ma fille n'avait qu'une demi-heure devant son assiette (prête), mais quelle bonne décision j'ai prise! Quels beaux midis tranquilles nous avons passés ensemble, à discuter de ses problèmes et relativiser la vie. Son professeur m'a assurée que cette heure de coupure sonore et visuelle avec l'école et ses congénères épargne à nos enfants des problèmes de comportement. Cette dame fuyait chez elle le midi, elle aussi... c'est tout dire!

Jonathan a dit…

Il y a des fois où je me demande si les gens n'aurait pas oublié c'est quoi être parent.

Unetelle a dit…

Je travaille aussi dans un arrondissement hyper défavorisé de Montréal. Ce que je déplore dans toute cette histoire d'aide alimentaire, c'est qu'elle semble pratiquement être coupée quand le jeune fait son entrée au secondaire.

Avant 12 ans, il a droit aux Club des p'tits déjeuners, aux collations gouvernementales, aux dîners subventionnés et dans certaines écoles à un souper avant de repartir à la maison (est-ce une rumeur?). La fin de semaine, il peut pratiquer une activité parascolaire de son choix grâce à un autre programme subventionné, activité qu'il pratique le samedi presque toute la journée.

Par contre à 12-13 ans, plus rien. Enfin presque. Pour avoir son dîner subventionné, c'est vachement plus compliqué. Résultat, le jeune meurt de faim à l'âge où il devrait manger le plus! Le soir et les fins de semaines, plus rien. Que voulez-vous, c'est moins cute un ado... Les jeunes traînent dans les rues et les gangs font des affaires d'or!

Pour être franche, je ne m'y retrouve plus dans ce qui devrait être fait en matière d'aide alimentaire dans les écoles. Responsabiliser les parents ou s'assurer que le jeune mange réellement? Perso, j'opterais pour la deuxième option.

unautreprof a dit…

Madame une telle pose ici une question qu'on se pose souvent en milieu défavorisé. "Responsabiliser les parents ou s'assurer que le jeune mange réellement?"

En remplaçant parfois le parent comme on le fait, ne le déresponsabilise t-on pas? En même temps, c'est l'enfant qui en souffre le plus de ne pas avoir de repas, de ne pas avoir le 2.00$ réclamé pour l'autobus de ville pour la sortie. Alors on est contents des services de repas gratuits, des collations fournies et on paie parfois de notre poche pour nos p'tits cocos.
Et on fait ça en douce, car à 10-12 ans, ils sont gênés et réalisent que ce n'est pas à leur prof de faire ça.

Septembre est toujours difficile aussi, les élèves pas de sacs à dos, pas de matériel. Nous a l'école on a des trucs pour eux mais on se dit toujours que l'on n'est pas certains de vraiment rendre service ainsi...

Prof Malgré Tout a dit…

Recevoir un poisson ou une canne à pêche? Opter pour la canne à pêche, c'est du long terme, mais une génération va en payer le prix. On ne parle pas de couper des jobs là. On parle d'enlever la bouffe des assiettes d'enfants.


Ce que je trouve désolant, ce sont les petites guéguerres entre les organismes. Mais peut-on vraiment les blâmer? Les subventions se font rares de nos jours.

Madame Une Telle amène un point fort intéressant : c'est moins "cute" un ado.

Vaut-il la peine d'arroser l'arbre si on le coupe avant qu'il donne ses fruits?