04 juin 2011

La coupe

Petit garçon, je ne fantasmais pas sur la coupe Stanley. Pourtant, j’ai abandonné mes cours de piano pour jouer plus au hockey. Faut dire que la vieille madame qui m’enseignait sans plaisir et l’interdiction de jouer du piano lorsque quelqu’un écoutait la télé ont pesé dans la balance.

Sur la patinoire, et même sur le banc, j’avais la paix. Se faire dire d’aller plus vite, plus fort, plus n’importe quoi, c’est quand même mieux que se faire dire d’arrêter parce que quelqu’un veut écouter la télé.

Même pour un p’tit gars au bord de l’obésité.

Oh, je ne faisais pas pitié. J’étais très bien nourri et on ne me battait pas. Au contraire, c’était l’anarchie.... Sauf quand quelqu’un voulait écouter la télé, bien entendu.

Mais je ne peux pas reprocher à mes parents d’êtres des barbares. Mon grand-père que je n’ai pas connu était violoniste. Pourtant, mon père que je n’ai pas tellement plus connu ne possédait même pas un seul disque. Trouvez l’erreur, moi je ne cherche plus depuis un bon bout.

Donc, je vieillis, je maigris et je joue de la guitare et je ne fantasme toujours pas sur la coupe Stanley. J’apprends seul des sonatines de Kuhlau, quand le piano est disponible et que ça ne dérange personne. Le reste du répertoire ne m’est pas accessible. Je me pète la gueule sur la sonate pathétique. Bof... J’essaie de jouer les suites pour le luth de Bach sur ma vieille Jazzmaster jaune laide sans savoir que c’est une 1963. J’écoute la Symphonie fantastique de Berlioz.

À l’école, je suis une bolle, au plus grand désarroi du directeur et de ma travailleuse sociale. Ça me fait encore sourire d’y penser. Héhéhé...

Et voilà le moment de s’inscrire au cégep et le choix le plus logique pour moi serait la musique : je m’inscris donc en science administrative.

J’veux pas être pauvre. Je veux une piaule avec un piano plus tard et en musique, pour les nouilles comme moi, il n’y a que la faim.

Non. J’vais devenir actuaire et si c’est trop plate, je ferai des mathématiques pures : la seule chose qui me branchait en dehors des arts. Les études en musique, ça sera pour une autre vie. J’avais trop de potentiel.

Entre temps, la situation se détériore à la maison et la journée de mon dix-huitième anniversaire, je lève les pattes et me pousse en appartement avec des copains, à mes frais bien entendu. Ce que j’ai fait pour arriver, très peu de gens le savent et c’est peut-être mieux ainsi. Disons que je n’aurais pas pu me présenter aux dernières élections, même pour le NPD.

À la fin de mon DEC, je jase avec mon prof de math 203 et pour la première fois, on parle de musique. Il jouait de l’orgue, mais avait décidé d’étudier les mathématiques. Ce n’était pas un prof extraordinaire ; correct, sans plus. Mais pour la première fois, il me parlait avec passion. J’lui ai fait part de mon intérêt pour les maths pures.

«Tu sais, il y a beaucoup de mathématiques dans la musique, mais très peu de musique dans les mathématiques.»

Salopard.

J’ai donc fait mon DEC en guitare classique, puis mon bac, puis ma maîtrise et ensuite, comme j’avais besoin de fric pour le loyer, je me suis inscrit au bac en enseignement de la musique pour avoir accès aux prêts et bourses. Mon récital de fin maîtrise tombait le 28 aout, si ma mémoire est bonne. À peine une semaine plus tard, je commençais l’autre bac.

Donc, j’ai choisi d’étudier en musique?

Pantoute. Avec mon talent médiocre et l’âge auquel j’ai commencé à m’investir, je savais qu’il n’y avait rien pour moi au bout. Ce n’était pas un choix. On ne choisit pas quelque chose d’aussi difficile et d’aussi exigeant quand il n’y a rien au bout.

J’avais seulement besoin de combler ce vide en moi. D’où venait ce gouffre? Cette craque par laquelle la lumière veut passer, mais qu’il faudrait élargir un peu plus, toujours plus. Cette maudite fissure dans l’âme.

Peut-être devais-je remplir la coupe de mon alcoolique de père qui n’a pas eu le père qu’il n’aura pas été, mais que j’essaie d’être?

J’vous avoue que je n’en ai plus grand-chose à cirer. Je veux seulement briser la roue.

Toutes les raisons sont bonnes pour faire faire de la musique aux enfants : discipline, développement neurologique, culture, snobisme... Moi, je voudrais seulement qu’il ait le choix plus tard. Qu’il puisse devenir poseur de gypse rock l’esprit en paix.

Tiens-toé ben mon p’tit gars, j’vais la remplir ta coupe... qu’elle soit Stanley ou pas.

En attendant, voici une sonatine de Kuhlau.








...

15 commentaires:

Miss a dit…

Superbe billet!

Dulcinée a dit…

Je vous lis depuis environ un an, et pour ma part, c'est la première fois que vous vous livrez ainsi. Je vous apprécie encore davantage, Prof Malgré Tout!

L'ensaignant a dit…

j't'aime xx

Andrée P. a dit…

Émouvant.
Merci.
Vous avez penser être écrivain?
Mais c'est pas payant non plus..

Prof Malgré Tout a dit…

Si tu m'aimes vraiment, pourquoi il n'y a que deux "x"?

Attends! ne t'en va pas... je disais ça pour rire!

Éléonore a dit…

C'est tellement dommage que vous n'ayez pas reçu tout le support qui était nécessaire à votre épanouissement, tout l'affection également.

Que ce soit dans les sports ou les arts, l'engagement des parents est essentiel a une saine progression. Un des problèmes c'est le dosage, entre le trop et le pas assez.

Heureusement, certains enfants recoivent l'appui nécessaire et de ce tremplin il leur pousse des ailes merveilleuses. Comme professeur vous connaissez surement secondaire en spectacle, j,ai couvert le rendez-vous panquébécois de Baie-Comeau, si ça vous chante de voir des photos
c'est ici http://yadesmots.blogspot.com/2011/06/des-etoiles-dans-mes-yeux-et-sur-la.html?showComment=1307279203128#c6700199373250343523

Anonyme a dit…

Très touchant.

Moi, je reproche parfois à mes parents de ne pas m'avoir assez poussé. J'ai fait le contraire de vous: j'ai d'abord obtenu mon bacc en enseignement de la morale au secondaire et ensuite, je suis retournée au DEC en musique -chant jazz. Pour moi. Une fosi mes obligations familiales accomplies, en quelque sorte...


La Digresse

Le professeur masqué a dit…

PMT: tu reprends la plume depuis un bout, je remarque, et tu écris toujours aussi vrai.

Prof Malgré Tout a dit…

Hey! Je ne reproche rien à mes parents. Ils ont fait leur gros possible et m'ont donné plus que ce qu'ils ont reçu. J'aurais dû eur présenter ma travailleuse sociale...

Anonyme a dit…

Man on est dû pour une bière!!

Martin

Prof Malgré Tout a dit…

Yep... Vous venez voir le show jeudi soir?

Cheers

Unetelle a dit…

Très touchant. J'aime beaucoup.

Chez moi, le bac en génie c'était comme un secondaire 5. "Donne-toi une base. Fais ton bac en génie, pis tu décideras dans quoi tu veux étudier après!" J'ai fait lettres françaises au Cégep, par pure provocation. ;0)

La musique? Nous avions un orgue électrique, comme tout le monde en banlieue. Et puis un jour, l'orgue a été remplacé par un filtreur de piscine.

Prof Malgré Tout a dit…

Wow! Vous faisiez de la musique avec un filtreur de piscine!!! Trop avant-gardiste.

John Cage for ever!

Pimpette a dit…

Je les aime vos textes, M. PMT. Avec nos commentaires, on a toujours là en dessous de tout ce que vous exprimez entre les lignes.

On peut tous raconter son histoire (j'ai eu la chance d'avoir une maman qui avait appris le piano pcq sa maman était une bourgeoise et que c'était comme ça dans une famille de ce statut. J'ai eu surtout la chance que, même cassée comme un clou, ma mère m'inonde de culture, me fasse faire de la musique, de la danse, du dessin, m'amène aux spectacles, concerts, musée, cinéma).
Je pourrais lui reprocher de m'avoir pas assez poussée, parce que j'étais une bolle aussi et qu'elle pensait que c'était déjà bien comme ça. Que pour elle, c'était pas si grave que je persévère dans rien (après tout, elle faisait pas ça pour que je devienne musicienne)

Mais à quoi bon les reproches et les histoires personnelles. Ce que je retiens, et qui me rejoins, dans vos deux billets sur le sujet, c'est le discours sur l'effort. Pas la pression, l'effort. Mes reproches ne vont pas tant à ma mère qu'à toute une culture qui s'est développée à l'école, dans la société québécoise, me semble-t-il dans ma jeunesse (j'ai l'impression que c'est venu avec le rapport Parent, mais je me goure peut-être). Cette culture qui dit "ben, c'est déjà beau ce que tu fais, pas besoin d'en faire plus" qui dit qu'un dessin/interprétation/travail d'un enfant est bon juste parce qu'il l'a fait, qui m'a fait entendre, alors qu'au cégep ma facilité académique me faisait badtripper (ben oui, qu'est-ce que j'allais faire quand ça allait devenir difficile pour moi? J'étais pas armée pour affronter ça) "t'as des bonnes notes pis tu te plains? pis ça te stresse??" (un psy-orienteur qui n'en revenait pas. Merci pour l'aide, on repassera).
Cette culture, je la sens encore maintenant, à l'école de mes filles, mais pas seulement. L'enfant qui doit s'épanouir avant tout, mais genre, tout seul, guidé par ses seules passions et inclinations.
Aye, l'éducation, c'est pas ça. Éduquer, c'est conduire, mener, amener l'enfant vers plus, pas lui dire que c'est ben correct si sa gamme est toutt croche avec 6 fausses notes sur 8. C'est aussi, idéalement, le mener, le conduire vers une gamme qui a de l'allure, avec de l'effort, mais sans souffrance, en faisant en sorte qu'il ait, de lui-même, envie de la faire de mieux en mieux, sa gamme.

Pas pour avoir des bonbons après, pas pour gagner une médaille ou devenir un prodige sur youtube, parce qu'il réalisera que ça vaut la peine de faire les choses au mieux de ses capacités (c'est pas moi qui le dit, c'est Descartes). Qu'il n'y a pas meilleure façon, pour "remplir sa coupe", que de sentir qu'on a fait de notre mieux.

Anonyme a dit…

Non seulement je suis d'accord avec Pimpette, mais je pense aussi la même chose depuis des années.


Une fois de plus, je suis soufflée par un de tes textes, PMT. Je ne sais pas quoi dire à part wow...et merci.

AVa