13 juin 2009

Crise d'artiste

Je voudrais dédier cette crise à l'EnSaignant qui est trop occupé pour assister à mes crises en direct.

Avant même de vous raconter cette charmante anecdote, j’aimerais toutefois mettre une chose au clair : je ne suis pas un artiste. J’suis juste un gars qui aime beaucoup la musique.

Bon, j’ai un verre de scotch, on peut donc commencer. En passant, j’suis sur le Dalmore 12 ans ces jours-ci. Super bon rapport qualité-prix! Environ 50 balles quand on sait qu’un Macallan 12 ans -- miam!-- tire dans les 80). Comme je ne fume pas le cigare, j’accompagne ça d’une Sleeman Silver Creek, une petite lager tout ce qu’il y a de plus moumoune (c’est branché d’avoir un ami gai).

Ah oui... les trucs de prof de musique... C’est quoi déjà le titre? OK. Crise d’artiste.

Y a quelques semaines, pour montrer que j’étais plein de bonne volonté et que j’étais ouvert à faire d’autres projets que celui dont tout le monde parle et qui est si merveilleux, j’ai accepté d’accompagner quelques classes dans un spectacle d’anglais. Personnellement, j’suis un motivé de nature. Le show n’a pas besoin d’être gros et les Kodaks, j’n’en ai rien à cirer. Donc, je choisis des tounes avec les élèves (on en parle dans un billet précédent) et on se dit que ça va être ça.

Jusque-là, tout baigne.

Mais y a la classe de quatrième année. Ils sont quelque comme chose comme 28 dans le groupe avec un élève de TC qui est intégré. Sur papier, je pense que ça donne un truc du genre 32 élèves. Bof... Ils étaient encore plus nombreux l’an dernier en troisième année. Ils ont commencé l’année à trente têtes. Sur papier, ça devait faire pas mal... et ils l’ont fini peut-être à 28.

Donc, c’est cette gang qui en principe chante «Imagine» de Lennon. Au début, ça allait. J’m’assois au piano (pfff... c’est juste un clavier) et on la chante. On place quelques trucs et on recommence.

Le cours suivant, on se rend à l’évidence. C’est plate! Alors, je prends la guitare et on essaie des trucs : funk, bossa, blues... C’est toujours plate. Pour déconner, je joue I’m yours de Jason Mraz et y a un élève qui me demande pour faire ça. Et voilà! On va faire Imagine en reggae. Ça fonctionne assez bien, mais c’est plus de travail, car très différent de la version de ce cher John.

Comme j’n’ai pas de temps et qu’ils manquent des cours à cause de sorties, il n’y a qu’une solution : je leur fais un CD pour qu’ils puissent pratiquer en classe. Mais dans ce groupe, y a des enfants qui sont assez ordinaires selon moi, qui n’ont pas de voix, pas de talent et une attitude assez critique face à tout ce qui ne passe pas à Musique Plus. J’ravale donc mon orgueil et un soir, après le bain des p’tits, j’ramasse un vieille classique qui ne vaut même pas 50 balles, j’me parque à côté du frigo dans le sous-sol et leur fait la toune pour qu’ils aient leur putain de CD pour pratiquer. Pfff... J’enregistre ça directement sur le macbook avec le micro intégré. J’n’ai rien à la maison pour faire ça et à l’école, j’n’ai pas le temps.

Le lendemain, j’accroche leur prof et lui refile le CD. Je sais très bien qu’ils vont se foutre de ma gueule, mais je préfère qu’ils se moquent un peu de moi plutôt que ce soit eux qui soient ridicules au moment du spectacle. C’est dans ma définition de tâche... je crois.

Dans les jours qui suivent, je n’ai pas le temps de les visiter, car si je n’enseigne pas, je bosse sur le projet de slam avec les cinquièmes. C’est plus de travail que prévu. Comme les premiers élèves avec qui j’ai bossé on tripé solide, les autres qui n’en avaient rien à faire ont décidé de faire le projet eux aussi. Quand un élève en difficulté veut faire quelque chose de concret à partir d’un texte qu’il a écrit de peine et de misère avec l’ortho, tu lui déroules le tapis rouge. Même si ce n’est pas dans la définition de tâche, j’n’ai pas le goût de vivre entouré de débiles profonds plus tard, alors j’essaie de faire ma part.

C’est que les mercredi et vendredi après-midi, je ne suis pas payé. Le projet me payait les vendredis, mais le projet, il est comme genre terminé, tsé? Alors, j’suis là à courir d’un côté et de l’autre bénévolement, sans compter le mixage de tout ça le soir à la maison. J’ai même enregistré un duo de guitare classique avec une élève à travers ça. Si vous êtes sages, je vous le fais entendre (mais pour imagine en reggae, ça prend du scotch!).

Êtes-vous encore là? La crise d’artiste arrive...

Vendredi après-midi, les élèves de cinquième sont à la bibliothèque du quartier. Donc, pas d’enregistrement pour le projet de slam. Il ne me reste qu’à faire pratiquer les classes pour le show d’anglais. Le seul groupe de disponible, c’est la quatrième année et c’est eux qui en ont le plus besoin. La prof les a fait un peu répéter avec le disque. Pfff. Au début, ils n’ont même pas allumé que c’est moi qui chantais (donc, ils n’ont pas bitché).

J’me pointe donc dans leur classe la guitare au cou, comme je leur avais dit : «quand j’aurai le temps, je passe dans votre classe et on le fait une fois, juste comme ça et ensuite, salut-bye, je disparais ». Je ne m’attends pas à une ovation quand j’entre dans une classe, mais l’espèce de soupir auquel j’ai eu droit m’a vraiment ramassé. Quand je suis payé, j’me dis qu’ils sont mal élevés, donc non coupables. Mais là, comme bénévole, je leur ai balancé un : «si c’est comme ça, j’vous dérangerai pas plus» et j’ai tourné les talons en lançant ; « je ne vous dérangerai même pas la journée du spectacle. Arrangez-vous avec vos troubles».

Huh? Vous êtes déçus? Ben voyons... C’n’est pas ça une crise d’artiste.

Je descends au rez-de-chaussé, traverse l’école, monte les trois étages, entre dans mon local et m’exclame : bordel!

Pfff... C’est même pas vrai. j’ai surement dit la messe au complet. Bordel, c’est dans la version softcore. Dans la vraie version, c’est pas mal plus trash (mais j’suis tellement plus viril...)

J’suis allez au clavier et j’ai vargé des arpèges de septièmes diminuées avec la pédale dans le fond du dash et je suis retourné dans leur classe.

J’descends les trois étages, je traverse l’école, je monte dans leur aile et entre sans frapper, sans même jeter un regard aux élèves

PMT (au prof) : J’peux avoir le CD s'il te plaît?

Elle me regarde perplexe, mais me remet tout de même le CD.

PMT (à la classe) : Vous savez, les profs, ça fait partie de notre job de vous laisser des chances, de vous pardonner, d’être patients et compréhensifs. Mais là, j’suis ici comme bénévole et ça ne me tente pas de me faire niaiser. Vous avez compris. Cet après-midi, ça ne me donne pas une cenne de courir à gauche pis à droite pour vous autres. Ah, vous ne saviez pas? La switch de politesse était à off? J’aurais pu vous le dire? Ce que je fais, je le fais parce que ça me fait plaisir et que ça fait plaisir aux autres. Comme ça n’a pas l’air de vous faire plaisir, on ne le fera pas. C’n’est pas plus compliqué que ça. Au fait, c’est même encore plus simple, car de toute façon, je ne serai pas plus payé l’après-midi du spectacle.

La classe : ...

PMT : Y en a surement qui se disent que je vais changer d’idée, que je vais vous donner une chance, que je ne suis pas dans mon assiette... Vous me connaissez bien. Le problème, c’est que moi aussi je me connais bien.

Here it comes, baby... «ze» crise d’artiste!

Je prends le cd, le regarde, les regarde et je l’écrapoutille en p’tits morceaux. Pleins de p’tits morceaux qui brillent.

Y a un de ces silences dans la classe. La prof me regarde comme si j’étais un extra-terrestre. J’savais pas moi qu’elle était raëlienne...

Je ramasse soigneusement tous les petits fragments en ayant une brève pensée pour les bons élèves de cette classe qui méritent mieux. Vous savez; ceux qui sont bien élevés. J’en compte environ cinq ou six et j’me dis que ce sera facile de faire un truc pour eux un de ces quatre. C’est comme si c’était déjà fait.

PMT : Oups... J’pense qu’on ne fera pas le spectacle.

Et je me pousse.

Était-ce professionnel comme intervention? Pfff... Quand on nous traitera comme des professionnels et qu’on nous paiera comme des professionnels, on pourra en débattre. En attendant, à long terme, ça devrait être payant. À court terme, j’n’étais même pas sur la slip de paye de l’école.






...

15 commentaires:

Philippe-A a dit…

CASSÉ.

Une Peste! a dit…

Ce n'était pas destiné à être une «intervention», mon idée.

De plus en plus souvent, ils risquent de rencontrer des gens qui «n'interviendront» pas avec eux. Des gens qui vont juste réagir à ce qu'ils disent, font, sont. Ils ne seront pas
catinés - heureusement ! - toute leur vie.

Je ne vois pas cela comme une crise d'artiste. J'appelle ça: «La ruade de la jument».

Dans un troupeau de ch'vaux sauvages, c'est toujours les juments qui leadent. Souvent une seule. Elle décide et marche devant. Parfois, elle doit aller ruer, mordre (et salement!) des jeunes poulains imbéciles qui font les cons, qui ralentissent le déplacement, qui désorganisent le mouvement. Elle en chasse certains. Qui reviendront si elle le veut, plus tard. Elle mord, balance des coups de tête, montre les dents.

Lorsqu'elle s'est bien montrée le Alpha, elle revient prendre sa place - maintenue par une autre jument, en attendant - à l'avant de sa horde. Ils repartent vers l'eau, la nourriture, la sécurité.

C'est magnifique à voir. Une procession qui se déplace.

La ruade de la jument. C'est ainsi que je vois la façon dont tu a drivé l'attitudes de ces jeunes.

Parce qu'au moment donné, criss, y a des limites à se laisser niaiser.

Marie-Lionne a dit…

Bah t'allais tout de même pas les laisser se comporter comme des divas capricieuses !

Je n'ai peut-être pas de classe à mettre de mon bord, mais je sais par expérience ce que c'est de lancer un projet, se démener pour qu'il se concrétise et finir par réaliser que les principaux intéressés... ne sont finalement pas si intéressés que cela.

Les fois où ça m'est arrivé j'ai fait comme toi, "j'ai barré des 4 roues". Ils ne sont pas morts et ont fini par s'en remettre. Parfois ils ont même fini par en tirer quelque chose, après une bonne conversation à coeur ouvert une fois la poussière retombée.

J'espère seulement que tu ne te sens pas trop cheap. Faut pas.

Anonyme a dit…

Wow!

T'as bien fait. Peut-être qu'ainsi, la prochaine fois, ils agiront "sur le sens du monde". On leur pardonne toujours tout, on dit on ne le fera pas, pour finalement revenir sur nos promesses. Ils le savent les jeunes, sont pas cons! ;)

Alors tiens ton bout et ne reviens pas sur ta décision. Parce que wow, ça prenait des couilles pour faire ça ! :)

Marâtre

Daniel Rondeau a dit…

Tu permets que je m'en inspire ?
J'adore !

Sur ce, pour la différence de prix, je suis prêt à essayer ton truc là, Dalmore...

Prof Malgré Tout a dit…

Vraiment bien le Dalmore. J'ai justement la bouteille devant moi... Mais il est 13:39 et je suis mono parental aujourd'hui.

La Digresse a dit…

Perso, je suis plus porto que scotch...

Je n'ai que deux mots: ingratitude (mais ils s'en remettront...) et courage. ou écoeurantite aigüe? enfin, bref. Le genre de chose que je rêve souvent de faire (les laisser se démerder) et que je n'ose (presque) jamais faire.

Heureusement, ça achève!!!

unautreprof a dit…

On a tous nos limites, bordel!

Anonyme a dit…

Je ne peux que me lever et applaudir devant un geste de cette ampleur.

Bienvenue dans le vrai monde les enfants! Faudra bien qu'ils comprennent un de ces quatre qu'ils ne sont pas les seuls humains de la place et que le corps enseignant a aussi droit au respect.

Tiens ton bout et garde la tête haute. Les plus brillants de tes élèves comprendront.

AVa

Le professeur masqué a dit…

PMT: j'approuve. Je raconterai une crise similaire que j'ai fait la semaine dernière. On est pas obligé d'être aussi bonnasse que certains de leurs parents...

Dobby a dit…

Ouaip... que ce soit des chocos de Pâques ou un cd fait avec amour et attention pour eux, juste pour eux, faut qu'ils apprennent que tout ne leur est pas dû. Et même payés pour, on ne leur doit pas tout.

Être leur prof je ne t'aurais pas regardé comme un illuminé... et je les aurais ramassés solide. C'est pas dans mes valeurs de ne pas savoir vivre de même.

Prof Malgré Tout a dit…

Vous êtes bien gentils. C'était quand même discutable de détruire le CD devant eux. Je voulais qu'ils comprennent bien le message, mais la destruction d'objets n'est pas (encore) reconnue comme technique d'intervention.

Au moins, quand je l'ai fait, je n'avais pas l'écume aux lèvres et la veine frontale sur le point d'éclater.

Prof Malgré Tout a dit…

Dobby : Héhé.. J'n'ai pas fait le CD avec amour. Come on... La deuxième prise était la définitive (le téléphone a sonné pendant la première...).

L'ensaignant a dit…

Au moins, j'ai encore deux ans pour me désister.

Merci pour la dédicace, PMT. J'aurais vraiment aimé être là, même si mon rire n'aurait probablement rien arrangé. Mais que veux-tu, fin d'année oblige!

Une question pour toi: est-ce que leur réaction avait quelque chose à voir avec la pire tradition de nos écoles primaires: "La période libre du vendredi"?

Si c'est le cas, qu'on les banisse, tout de suite.

J'aurais probablement été aussi trash que toi et la veine aurait probablement éclaté. Et tu aurais bien ri....

Camille Marcotte a dit…

Mes félicitations!

Il ne faut pas que tu culpabilises, laisse les se charger de cette partie là. La trash-attitude a souvent des effets bénéfiques. Il faudrait plus de «crise d'artiste» pour casser les enfants-rois.

Chapeau!