25 juillet 2008

Manu

Aujourd’hui, à la piscine avec Fiston, j’suis tombé sur Manu, un bel ado de 14 ans que j’ai eu en classe TC. Il vit maintenant en foyer d’accueil dans mon nouveau quartier.

Je sépare normalement les élèves de classe TC en deux catégories : les freaks et les bums. Étrangement, Manu, je ne l’avais pas classé. Beau, intelligent, respectueux, mais ni freak, ni bum. J’suis qu’un petit prof de musique, moi. Je laisse les gros diagnostics sérieux aux pros, mais une chose est certaine : quand t’es équipé comme lui et que tu te retrouves en classe TC, il y a anguille sous roche.

Il y a deux ans, un beau matin, Manu était absent. La police était venue le cueillir chez lui la veille. Vol, drogue, prostitution? Nah... Pas le profil. Et comme ce n’était pas la DPJ, mais bien la police qui l’avait embarqué, je n’ai pu m’empêcher de poser aux vrais intervenants la question qui me brûlait les lèvres:

PMT : Heille...

Intervenante : Huh?

PMT : Manu...

Intervenante : Oui?

Et voilà la question en question...

PMT : What the fuck?

Intervenante : Ah! Tu ne le sais pas?

PMT : De kessé?

Intervenante : Il a sacré une volée à sa mère.

Ben oui! Comment n’y avais-je pensé? Beau, intelligent, respectueux. Pas freak, pas bum, mais en classe TC. Ça va de soi : tu cognes sur maman!

Parfois, c'est quand ça saute aux yeux...

Anyway.

Manu est venu nager avec moi et Fiston. Il est vraiment adorable avec les enfants et les sauveteuses semblent bien l’aimer... On a jasé de l’école, des profs, des élèves, des freaks et des bums... de moi, de lui.

Et il m’a raconté... La police, la nuit au poste, les centres, les foyers... le Douglas (qu’il n’a pas nommé).

Sa mère le battait depuis sa plus tendre enfance. Il en parle comme quelqu’un qui a pardonné, quelqu’un pour qui c’est réglé. Je pense que ça s’est réglé le jour où il lui a rendu les coups. Parfois, c’est plus clair quand deux personnes parlent la même langue. Il doit d'ailleurs la voir ce week-end.

Quand plus tard, Fiston en avait marre de la piscine et voulait tester quelques modules dans le parc voisin, Manu est venu nous rejoindre. Il grimpait avec Fiston, l’encourageant, le protégeant des plus grands, le laissant gagner...

J’avais confiance. Ce n’est pas un freak, Manu. Il n’est même pas foutu d’être bum...

Sur le point de se quitter, en marchant.

PMT : T’as un petit frère?

Manu : Non, mais j’aurais aimé ça.

PMT : Tu serais bon.

Manu : Toi, t’es bon comme père.

PMT : J’essaie d’être meilleur que le mien, mais c’est facile.

Manu : Comment ça?

PMT : Ben...

Et là, je sens la gaffe que je viens de faire...

Manu : Qu’est-ce qu’il avait ton père?

PMT : Juste pas là...

Et tant qu’à être dans ça...

PMT : Et le tien?

Manu : Jamais connu...

Et avant même que je dise quoique que ce soit, il s’engouffre dans un escalier sombre qui descend sous le bâtiment adjacent à la piscine.


Ta gueule PMT, ta gueule...






...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En lisant cette histoire et ton texte, il est difficile de se brancher sur une seule émotion...

Je garde celle de la fin : l'espoir.

La vie est loin d'être toujours facile et parfois, malgré les détours, certaines personnes arrivent à devenir grandes. Je ne peux m'empêcher de penser que quelque part, dans ces détours, ces cheminements, ces traversés d'obstacles, ces jeunes ont dû rencontrer des modèles inspirants chez les adultes.

Parfois, un bon prof de musique, parfois, deux profs...

Je trouve depuis lomngtemps que tu es fait sur mesure pour les jeunes de ces quartiers. Dur au coeur tendre, coloré, imaginatif, tout pour dépasser une réalité souvent trop moche. J'espère que tu as pu conserver ton poste et que tu pourras ainsi poursuivre ton projet musical.

Zed

Sophie a dit…

Moi, ce qui me coupe les deux jambes avec les jeunes des fois, c'est de voir qu'ils sont partis tellement mal dans la vie, et que tu ne peux rien y faire... Ou si peu. Quand j'enseignais aux raccrocheurs, je n'en revenais pas de tout ce qu'ils me racontaient, de tout ce qu'ils avaient vécu ou vivaient encore...

Mais bon, il y en a qui s'en sortent quand même mieux que d'autres, mais ce n'est pas parce qu'ils ont eu des cadeaux de la vie, loin de là!

bibconfidences a dit…

Ce que j'aime de mon métier c'est que des fois, même pas longtemps, on fait une différence dans le vie d'un enfant.
J'espère qu'une fois dans la mienne de vie je ferai une grosse différence, pour le mieux.

bibconfidences a dit…

Le vie? Je voulais dire ze life.